ENTRETIEN

Bonjour Quentin, tu es artiste mais aussi un collectionneur, peux-tu me dire quel genre d’objets tu collectionnes?

Q.P: J’ai plusieurs sortes de collections, il est difficile de toutes les citer mais ce qui me touche le plus ce sont les objets qui ont un rapport avec le temps. Comme les objets usés et polis à force d’avoir été touchés et manipulés par les gens, les animaux ou même les pierres creusées par l’érosion. Il n’y a pas très longtemps j’ai découvert un livre de Roger Caillois, qui se nomme « Pierres », dont j’ai trouvé la dédicace magnifique. Il y parle des pierres qui ont toujours couché dehors, des pierres qui n’intéressent personne, des pierres qui ne sont ni utiles ni renommées, des pierres qui n’attestent qu’elles, qui sont du début de la planète, qui ne perpétuent que leur propre mémoire. Il y a là quelque chose qui me fascine. La diversité du vivant et des cultures me passionnent aussi. J’ai beaucoup d’objets que j’ai chinés sur des vide-grenier ou que j’ai moi-même trouvés dans la nature qui ont été fabriqués par le temps comme les fossiles, les insectes ou par des peuples disparus ou en train de disparaître. Je pense que c’est la diversité du vivant et des cultures qui font la beauté de la terre et dont j’essaie de m’entourer.

Quelle est la finalité, s’il y en a une, de s’entourer d’autant de collections?

Q.P: Ce serait de toucher et de voir un maximum de choses. Comme une sorte de nourriture pour rendre la vie supportable. Le contact avec ces objets m’a aussi permis de percevoir quelque chose à l’intérieur de la matière, un fragment de sculpture est devenu presque aussi important pour moi qu’une sculpture, comme s’il y avait une vie ou au moins une mémoire à l’intérieur. Je pense que je développe un genre de fétichisme. Etant enfant, je n’arrivais pas à me dire que mes jouets n’étaient que des morceaux de plastique inertes ; je pense d’ailleurs que la vie finit toujours par coloniser tout objet traversant le temps. Peux-tu décrire en quelques mots en quoi consiste ton travail? J’essaie de rendre visible et de donner de l’importance à des choses auxquelles on ne prête pas attention et qui sont pour moi essentielles. Rendre sensible la matière sur laquelle je travaille ; j’y fais apparaître une foule de personnages sortis d’un invisible que je suis seul à pouvoir voir. Je suis certain que toute personne qui concentre son regard sur n’importe quelle matière pourrait faire surgir un nouveau monde, que personne d’autre que lui ne pourrait voir. J’essaie de tisser une toile de fond à ma mesure où tout se tiendrait.

Les Bonshommes comme tu les appelles, existent dans toutes tes créations. Peux-tu nous raconter ta rencontre avec les Bonshommes?

Q.P: J’ai commencé à peindre et à dessiner en regardant à travers un microscope. Par exemple, une feuille d’arbre ou des ailes de papillons, ou les pixels d’une image sur papier glacé. Je me suis aperçu qu’il y avait une multitude de détails qui apparaissait que je ne pouvais pas voir sans m’aider d’une machine. Comme si je pouvais accéder à une autre vision du monde, tout un univers invisible à mes yeux mais pourtant bien réel. Un jour, sur mon sous-main, à mon bureau, des personnages ont commencé à jaillir de mes essais de couleur, ce qui m’a donné l’idée de remplacer la machine - le microscope - par ma propre machine, que sont mon corps et mes yeux. C’est comme ça que ça a commencé.

Tu vois autre chose à part les Bonshommes?

Q.P: Non ce sont eux qui me sautent aux yeux. Il y a un réflexe, quand on voit quelque chose qui pourrait ressembler à un œil qui est de deviner immédiatement une silhouette, je pense que ça doit venir de très loin comme un instinct, quelque chose de primitif inscrit dans notre cerveau reptilien. Peut-être une sorte d’instinct de survie pour définir le plus rapidement possible l’identité de celui qui nous regarde?

Je peux voir que tu t’appliques à disposer tes personnages dans un certain ordre.

Q.P: Quand j’étais petit, je faisais des collections de figurines de Batman Spiderman etc... que je rangeais soigneusement en ligne et par taille. Je remplissais des tables et des étagères entières. Comme une véritable exposition dans ma chambre. Maintenant je fais pareil avec mes Bonshommes, j’essaie de les ranger d’une certaine façon sur mes dessins toujours dans l’idée de trouver un ordre à ce chaos.

Penses-tu qu’ils sont les mêmes une fois retranscrits en dessin ou sculpture?

Q.P: Oui. Ces personnages que je vois très rapidement, je les détoure à l’instant même sinon je les vois disparaître au profit d’autres. C’est comme si je les attrapais au vol. Je les détoure sur la pierre ou la matière sur laquelle je travaille en m’appliquant à suivre les contours de ce qu’il m’est apparu. Puis, je les décalque, les découpe et les épingle pour les ranger. Je mets ensuite un papier carbone sous le calque pour les reproduire sur papier. Pour moi, il est très important de les représenter fidèlement ce qui me permet d’avoir des personnages tous différents. Ils sont tous différents car ce n’est pas moi qui les crée, c’est un échange avec ce que je suis et avec la matière, je pense d’ailleurs que tout ce qui vient de la nature ne peut pas se répéter à l’identique dans un univers infini.

Est-ce-que tu pourrais créer d’autres œuvres sans ces Bonshommes ou ils feront toujours partie de ton travail?

Q.P: Pas forcément, pour l’instant je me concentre là-dessus mais j’aimerais aussi essayer d’autres choses. J’ai des idées comme exposer des pierres brutes sur des très beaux socles, comme si c’était des sortes de divinités.

Et avec tes Bonshommes est-ce que tu as de nouvelles idées de création?

Q.P: Je voudrais faire beaucoup plus de sculptures, en faire des centaines de milliers comme si toutes les pierres de la terre avait accouché. Pourquoi ne pas faire aussi des vidéos pour qu’on se rende mieux compte du mouvement et du nombre. J’ai aussi pour projet de les faire en bronze.

Quels matériaux utilises-tu principalement pour tes dessins et sculptures?

Q.P: Pour la plupart de mes dessins il s’agit de papier fabriqué à la main au Népal, du graphite pour les empreintes et pour la couleur j’utilise des feuilles d’or, de l’encre de chine et beaucoup de sanguine. En ce qui concerne mes sculptures je travaille avec le fer forgé et le plâtre pour l’instant. J’aimerais aussi pouvoir fabriquer mon propre papier.

Est-ce qu’il y a une volonté particulière de transmettre quelque chose au public au travers de tes œuvres?

Q.P: Oui, que toute chose même la plus insignifiante à son importance. J’essaie de mettre en lumière ce sur quoi on a détourné le regard.

Enfin, que te procure le fait de créer?

Q.P: La liberté d’être moi-même.





Entretien réalisé en Avril 2019 par Nina Clivillé.